Comment améliorer la qualité du soin grâce aux couleurs de l’environnement médical ?
Par Nicolas QUET,
Designer Couleur, Matière et Finition
La couleur impacte notre moral et peut avoir une influence positive ou négative sur nos corps. Le choix d’harmonies colorées, lors de la conception des environnements médicaux, ne devrait pas être anodin. Ces choix sont pourtant considérés comme secondaires et rarement définis en fonction des besoins des patients, du personnel et des visiteurs.
Les potentiels de la couleur sont encore sous-estimés par les chefs de travaux, les personnes responsables des achats, les architectes ou encore les médecins ou chefs de service. Ces décisionnaires ne sont pas toujours avertis des bénéfices et du soutien que la couleur peut apporter au sein des institutions médicales.
Dans tout projet d’aménagement, il est inévitable pour les responsables de projet de choisir des harmonies colorées pour les murs, les sols, le mobilier. Il est même préférable que ces choix soient en accord avec les besoins des patients, ceux du personnel soignant et en adéquation avec les contraintes spatiales du site investi.
Dès lors que les concepteurs comme les architectes, les designers, les graphistes et beaucoup d’autres, sont conscients que la couleur, et plus précisément que nos perceptions colorées, affectent notre bien-être, notre confort et nos ressentis, il est primordial pour eux de chercher à dompter ces perceptions colorées. Il est tout aussi important, pour les concepteurs, de faire comprendre à leurs clients et aux usagers ce qui motive un choix, d’acculturer aux enjeux que soulève l’usage de la couleur. Pour se faire, les clients ou les usagers, doivent donc participer à l’élaboration des gammes de couleurs, matières et finitions, sous la responsabilité d’un expert de la couleur. Ainsi, quand les concepteurs apportent leurs savoir-faire et leurs méthodes, les usagers expriment leurs besoins et leurs expériences. Cette façon d’envisager la création, en consultant et en impliquant les patients et le personnel soignant au moment de la conception des futurs aménagements, est appelée le design collaboratif, aussi contracté en “co-design.”
Le co-design exige une participation active des concepteurs et des futurs usagers, qui prennent ensemble les décisions. Cette façon de travailler, invitant au compromis toujours en pesant les arguments des différents partis, vise une validation partagée des choix colorés.
Premier atelier avec les professionnels du futur CMP : “Parlons couleurs.”
« Le premier apprentissage qui se dégage de ce premier atelier, c’est sans doute celui de la nuance qui met à distance le carcan symbolique étroit des couleurs pour épouser des récits intermédiaires et plus circonstanciels : tous les bleus ne se valent pas…un bleu vif n’a pas le même message qu’un bleu pâle. Cela vaut pour tous les domaines de couleurs.»
Vanessa Lehner, Nacarat Color Design – Copyright Nacarat Color Design I Lab-ah
La couleur choisie collectivement fédère les futurs usagers
La première preuve de soin est sans doute celle d’accorder de l’attention aux personnes impliquées dans le projet d’aménagement. Dans le cas du centre de soins polyvalent Eugène Millon, Marie Coirié, designer et co-dirigeante du LAB-AH (Laboratoire de l’accueil et de l’hospitalité, GHU Paris Psychiatrie & Neurosciences) et Vanessa Lehner, designer coloriste au sein de l’agence Nacarat Color Design, ont consulté le personnel soignant et les patients afin d’élaborer l’identité du site. Pour que ce nouveau centre de soins devienne repérable dans le quartier et agréable à pratiquer, les deux designers ont mené des entretiens et plusieurs rencontres, afin d’élaborer leur proposition.
“Ce projet prend forme comme un cheminement collectif où, au départ, il n’y a pas de certitudes, pas d’évidences. Tout se construit à travers une démarche inductive, guidée par nos méthodes et nos outils.”
Vanessa Lehner, Nacarat Color Design
L’une des premières étapes de travail prend la forme d’une balade durant laquelle des patients sont invités à relever les couleurs présentes dans leur quartier pendant que le personnel soignant détermine une logique de répartition des ambiances colorées. Le résulat est simplement la décision collective d’associer une dominante de couleur par étage.
Cette méthode de co-création offre aux designers la possibilité de faire émerger une culture commune de la couleur. Pour faciliter les échanges et la prise de décision, les deux designers s’assurent que personne ne reste dans une représentation abstraite de la couleur. Elles utilisent des outils qui permettent de visualiser, d’imaginer très concrètement les proportions des couleurs dans l’espace et où elles seront appliquées.
Second atelier avec les professionnels du futur CMP : “Concrétisons notre projet”
« Mise à disposition de trois thématiques chromatiques et premières esquisses d’identité visuelle du CMP. Ces thématiques illustrent tout ou partie des conclusions du premier atelier tout en se distinguant.»
Vanessa Lehner, Nacarat Color Design – Copyright Nacarat Color Design I Lab-ah
Les usagers se projettent certainement plus facilement grâce à ces outils. Cet effort de pédagogie contribue à des choix colorés cohérents, qui ne sont pas remis en question lors de leur mise en œuvre.
“Un enjeu très fort est celui d’acculturer nos collègues (du monde hospitalier) à des questions qui semblent sans importance et relevant de la décoration, […] en faisant beaucoup de pédagogie.”
Marie Coirié, Lab-ah
Illustration du matériau mobilisé lors du premier atelier avec les professionnels du futur CMP : “Parlons couleurs.”
« Il consistait à partir d’une appréciation simple de la couleur et des harmonies en général d’amener ces mêmes couleurs sur le terrain de leurs applications en espaces hospitaliers. Ce double regard porté sur la couleur, pour elle-même et appliquée, a pour but de déconstruire un rapport à la couleur induit par les savoirs et l’expérience de chacun. »
Vanessa Lehner, Nacarat Color Design – Copyright Nacarat Color Design I Lab-ah
Les couleurs associées aux environnements de soin
Le blanc au sein de l’hôpital est un code installé depuis le XIXe siècle. Souvent qualifié de couleur désincarnante, le blanc et encore très ancrée dans notre imaginaire collectif des lieux de soin.
Représentation standard des espaces hospitaliers
“Il était d’usage de ne pas utiliser la couleur dans des espaces médicalisés, comme une injonction à faire silence quand il s’agit de soigner les maux du corps ou de l’esprit. Le blanc digne, le blanc propre, le blanc probe, objectif et impartial, le blanc neuf et efficace mais aussi le blanc néant, froid, le blanc distant.”
Vanessa Lehner, Nacarat Color Design
Cette couleur s’est d’abord retrouvée sur le linge : sur les tenues du personnel soignant et sur le linge de lit. Le blanc se retrouve ensuite sur les murs, appliqué en enduit et recouvrant les surfaces. Bien que la blancheur apporte luminosité et visibilité de la saleté, elle est également une source de gênes pour le confort visuel des patients et souvent associée à une atmosphère effrayante pour un grand nombre d’enfants.
“La conception fondée sur des preuves (evidence-based design) montre que trop de blanc dans les environnements de soins a un effet négatif, provoquant un éblouissement accru pour les patients et les travailleurs de la santé, et des difficultés pour les patients plus âgés ou malvoyants à distinguer les sols, les murs et les portes”
GULWADI Gowri Betrabet, FALLS Cedar, CALKINS Margaret P. “The Impact of Healthcare Environmental Design on Patient Falls” IDEAS Institute, Kirtland OH, 2008
En réponse à ce constat, les usagers et les personnes travaillant dans des environnements de soins sont demandeurs de nouveaux codes chromatiques. Les demandes, exprimées dans les projets de plusieurs experts, soulignent une forte envie de s’éloigner des codes standardisés des espaces médicalisés imprégnés par la blancheur et le bleu pastel. Jean-Gabriel Causse et Isabelle Rodier exposent dans leurs projets respectifs, la demande de leurs usagers. Dans les deux projets, celui d’une maison de répit accueillant des enfants atteints de troubles du spectre autistique et celui d’un foyer d’accueil pour de jeunes adultes handicapés, la demande tend dans les deux cas à réduire la quantité de blanc dans l’environnement. Cette couleur connote la maladie, l’absence et le vide pour les familles impliquées et les jeunes interrogés.
“Multiplier les couleurs, pour les enfants, ça fait du bien ! Pour eux, il n’y a jamais trop de couleurs.”
Jean-Gabriel Causse
Il est donc important pour les projets à venir, que les concepteurs cherchent à réduire la quantité de blanc au sein des espaces dédiés au soin, ou à travailler sa qualité s’il est inévitable. Chercher à comprendre les pratiques des personnes amenées à investir les locaux, à y travailler et y vivre permettra aux concepteurs et conceptrices d’adapter les réponses colorées en fonction d’une collecte d’informations précises et de faits incontestables.
En réponse à la blancheur systématique, la polychromie maîtrisée permettra d’améliorer nos expériences des lieux de soins, de contribuer au mieux être et d’apporter plusieurs types de conforts (thermique, visuel, psychique…)
Ne perdons pas de vue que la polychromie est aussi une prise de risque. L’excès de couleurs peut provoquer tout autant de perturbations qu’un excès de blancheur.
“La volonté des familles, c’est de s’éloigner des codes d’un hôpital et d’être dans des codes domestiques.”
Isabelle Rodier
Relevé mur et sol dans l’unité de chirurgie digestive du CHU de Strasbourg en préparation du projet « La meilleure façon de marcher c’est encore la vôtre », La Fabrique de l’hospitalité, 2018-2019
Ce relevé témoigne de choix qui animent l’espace, et ont le mérite de le rendre moins ennuyeux. Néanmoins ces rapports colorés n’assurent pas le confort des usagers et peuvent provoquer des mauvaises lectures des plans et donc des doutes : est-ce creux ou en relief ? De tels contrastes peuvent être perçus de façon très différentes en fonction de l’âge et de la qualité de la vision.
Les projets de Jean-Gabriel Causse et Isabelle Rodier prouvent que des atmosphères et des ambiances polychromes maîtrisées sont bénéfiques pour de jeunes habitants. Les structures pour lesquelles ces designers ont travaillé accueillent des publics avec différents handicaps où la couleur a différentes missions : dynamiser l’espace, au contraire l’apaiser, rendre certaines pièces repérables, facilement mémorisables.
Les a priori face à la couleur sont reconsidérés par les deux responsables de projet : les usagers sont étonnés par les propositions d’harmonies de couleurs « calmes » ou « stimulantes » qui ne sont pas forcément celles auxquelles nous aurions spontanément pensé. Les choix chromatiques qui correspondent à des enfants sujets à des troubles autistiques ne seront pas les mêmes que ceux pour des adultes avec divers types de handicaps, les designers en ont conscience et explorent des associations surprenantes, au premier abord, pour les usagers. Les interventions des deux professionnels sont polychromes mais contribuent toujours à inscrire les espaces dans des codes domestiques, des codes rassurants et connus.
“Il s’agit de donner le sentiment que l’on est chez des gens, dans une maison, et en aucun cas dans un hôpital.”
Jean-Gabriel Causse
L’usage de couleurs assumées permet de personnaliser les espaces, tant dans le projet d’Isabelle Rodier que dans celui de Jean-Gabriel Causse, les couleurs des chambres apportent de la variété, évite un effet “copié-collé” qui rend monotone l’aménagement intérieur de certains hôpitaux.
La couleur comme outil d’orientation et d’identification
L’usage ciblé d’une ou plusieurs couleurs, permet de communiquer les bonnes informations et de contribuer à l’apaisement de certaines situations, de certaines interactions. Au sein des espaces médicalisés, les individus sont souvent en situation de vulnérabilité, malades, fatigués ou angoissés. Pourquoi alors se priver d’un outil comme la couleur, capable d’apporter des solutions face à la désorientation et à l’inquiétude ?
Dans le cas du centre de soins polyvalent Eugène Millon, un cheminement coloré spécifique a été élaboré par Nacarat color design en complément des supports de signalétique classique. L’objectif est d’instaurer une circulation plus intuitive et rassurante dans les espaces du centre, ainsi que de renforcer l’identité et la qualité globale du site.
“La couleur est un soutien à la relation entre les personnes.”
Barbara Bay
Il y a fort à parier qu’un code de couleurs, permettra à des patients angoissés de mieux se repérer et par conséquent de moins perturber le travail des soignants en leur demandant leur chemin. Les designers Marie Coirié et Vanessa Lehner emploient la couleur comme un élément servant à hiérarchiser et structurer les espaces. La charte de couleurs finale permet d’abord de distinguer les étages et ensuite de se repérer dans le bâtiment.
En ce qui concerne le projet de Benjamin Salabay, qui se concentre sur le parcours du patient jusqu’au bloc opératoire, la couleur rythme le trajet. Son placement est tout spécifiquement pensé pour être visible depuis le brancard sur lequel le patient est allongé. Le designer met l’accent sur la nécessité de se mettre à la place du patient afin de comprendre son point de vue et d’adapter sa proposition au champ de vision dans cette situation précise. La couleur a ici une double fonction : orienter et donner une identité à un espace qui est un entre-deux : entre la chambre du patient et le bloc opératoire. La teinte de bleu choisie définit le service de chirurgie et devient un signe distinctif pour le bloc opératoire.
Les deux cas exposés nous montrent qu’une intervention modeste n’est pas synonyme de peu impactante. Appliquer une couleur est une opération capable de faire appréhender l’espace et ses circulations plus sereinement, ce qui a un impact plutôt positif sur les patients et le personnel soignant.
La couleur comme réducteur de stress
L’équipe constituée de la docteure en biologie Florence Aviat, de la consultante en solutions durables Claire Leloy et de la designer coloriste Elodie Gobin cherche à rassembler des preuves permettant d’objectiver la sensation qui nous pousse instinctivement à trouver que le bois est bénéfique et nous fait du bien. Par leur approche transversale, elles cherchent à comprendre la relation qui existerait entre le bois et la santé et peut-être pouvoir affirmer que la couleur peut réduire le stress. Leurs travaux relèvent l’importance d’employer au sein des lieux de soins, des couleurs associées à des éléments naturels.
“La vue et la couleur sont des éléments fondamentaux pour améliorer et rendre plus opérant le soin.”
Florence Aviat
L’étude de l’institut Human Research (Autriche) publiée en 2010 et réalisée au sein de l’école de la ville de Haus im Ennstal (12 mois d’étude entre 2008 et 2009) a démontré que la présence de bois massif visible dans les salles de classes a des effets positifs continus sur la qualité du sommeil des élèves : baisse du rythme cardiaque, meilleure récupération physiologique. En plus, des effets médico-physiologiques observés, des effets sociaux ont été notés concernant le stress subjectif spécifique à l’école (« stress social sur les élèves, sur les enseignants »).
Mettre les teintes naturelles à l’écart ne serait pas bénéfique pour l’être humain. Une étude abordée lors de la présentation du projet IMPACTs, piloté par Florence Aviat et Claire Leloy démontre que la présence du matériau bois dans l’environnement bâti contribuerait à faire baisser la fréquence cardiaque de l’usager.
Différentes études prouvent que la vue d’éléments naturels comme un espace vert, ses arbres, ses plantes, aide à réduire la prise d’antalgiques de patients ayant subi une chirurgie.
“Plus on a d’éléments en bois clair dans la pièce, plus les sujets testés utilisent des qualificatifs synonymes de bien-être et de confort.”
Poirier et Al, 2019
Pouvons-nous avancer qu’à minima, l’utilisation de teintes naturelles permettrait d’évoquer des éléments naturels et donc de contribuer à notre bien-être dans des environnements bâtis ?
Utilisons la couleur au service de la santé de tous !
La couleur dans l’environnement médical s’installe lentement mais sûrement. Les concepteurs s’attaquent à des codes dont les racines sont ancrées à la fois dans la religion et dans la science. L’auteur Michel Pastoureau nous présente la complexité que le blanc véhicule dans différents ouvrages et nous rappelle que parler de couleur et utiliser les couleurs s’inscrivent toujours dans une culture à un moment précis.
La blancheur de l’environnement médical est bien en cours de reconsidération mais bouleverser un code ne se fait pas en un seul projet et ni du jour au lendemain. Les réponses chromatiques sont explorées, testées par différents responsables de projet mais restent encore une démarche à la marge, qui ne séduit que peu d’artistes et designers.
L’environnement médical concerne des sujets rarement réjouissants: la maladie, la mort, l’anomalie. Est-ce pour cette raison que l’intérêt pour ces espaces n’est pas si évident ?
Aborder ces espaces par le prisme de la couleur nous apparaît délicat. Tout comme il n’existe pas un unique bon état de santé, il serait dangereux d’affirmer qu’il existe une unique bonne harmonie colorée, adaptée à tous les environnements médicaux. Les solutions doivent obligatoirement s’adapter et s’ajuster au contexte dans lequel elles s’insèrent.
Tout le monde ayant un avis sur la couleur, il peut être très décourageant pour les concepteurs de tenter de trouver une solution qui satisfera à l’unanimité. La concertation rend un choix coloré, estimé futile et parfois source de violents débats, acceptable, si elle est menée à chaque étape du projet. Les compétences du concepteur résident dans l’ajustement, dans la construction d’une réponse basée sur l’écoute, l’analyse et la compréhension des usages des personnes avec lesquelles elle ou il travaille. L’une de ses missions sera alors d’anticiper une marge d’appropriation pour les futurs usagers ainsi que leur niveau d’implication dans les étapes du projet. C’est en partie de la maîtrise de ces paramètres dont dépend la réussite d’une mise en couleur d’un environnement médical.. Les bénéfices qu’apportent la couleur tiennent d’abord de la qualité de la collecte des informations par les concepteurs et conceptrices. Pour chaque projet il sera inévitable, avant de valider une gamme de couleurs, ses matériaux et textures, d’analyser les besoins des utilisateurs tout comme les sensations et les ambiances qui sont à générer.
Appliquer une couleur, qu’il s’agisse d’une matière colorante ou de lumière colorée, est une opération peu coûteuse, réversible la plupart du temps, en laquelle le réseau COLOR THE LIFE croit grandement. Il appartient maintenant à tout professionnel de se former et d’utiliser la couleur au service de la santé de tous.
NOS PROJETS EN VIDÉO
Pour aller plus loin, découvrez les présentations des différents projets cités dans cet article