Toucher la couleur : un luxe extrême

Le point de vue de Colorprescription,
par Claude Vuillermet et Sabine Le Chatelier

Aborder l’expérience de la couleur dans sa dimension sensorielle, 100% physique.

Août 3, 2022

édition 2

La période très particulière que nous avons vécu ces deux dernières années nous a plongé dans un manque ; celui de toucher, et nous a confronté violemment à un monde dématérialisé.

Ce manque, cet univers chamboulé, ces repères envolés, nous ont conduit à nous interroger sur notre métier de « trendforecaster ». La couleur et la matérialité ont toujours été au coeur de notre savoir-faire.

Quelle est, et sera sa pertinence dans cet univers virtuel toujours plus prégnant ?

Nommer la couleur, c’est déjà la toucher

Quand on dit le mot couleur, on la visualise tout d’abord, le sens de la vue s’impose. Pourtant la couleur est une expérience sensorielle complète. Elle nous imprègne, sollicite le sens du plaisir, ou du déplaisir, provoque des émotions fortes. Mais que devient la perception de la couleur quand on la touche ?

Elle est évidemment modifiée. Contextualisée, elle devient vecteur d’un autre message qu’elle-même. Le toucher l’intensifie, l’approfondit, la concrétise, permet de la qualifier. Dans nos métiers, en amont des filières, quand nous tentons de définir la couleur intrinsèque, et non pas appliquée à un produit, on a besoin de qualificatifs, de la personnifier pour mieux se l’approprier et pour mieux la communiquer à nos clients.

Ainsi dit-on par exemple : cette couleur est sèche ou humide, aigüe ou grave, trop bruyante, ou pas assez bavarde, piquante, salée ou sucrée… On constate que plus on s’approche de l’application de la couleur sur les produits finis, moins on se sent libre de la verbaliser. La couleur rentre alors dans un univers normé et utilise une sémantique banalisée.

En cherchant à incarner le produit fini, on prive la couleur, et sa communication, d’un vocabulaire plus décalé, plus poétique, capable de la transcender.

L’invasion de l’écran/media

Collectif Information Fiction Publicité. Exposition “Réflexions voilées”, The Israel Museum, Jerusalem Promised Land, 1992.

Couleur en boîte : l’écran.

Omniprésent, voire envahissant au quotidien, cette mono matière de verre, forcément lisse, forcément froide, forcément désincarnée et technique, est une barrière infranchissable entre nous et la couleur.
Sur l’écran, on voit la couleur vibrer et pulser. Instable par nature, excitée électroniquement, elle émet des vibrations qui nous empêchent de dormir.

L’écran calcule la couleur en RVB et rend toute référence difficile. On a tous été confronté aux difficultés de communiquer sur la couleur, malgré les outils proposés et, l’éventuel, calibrage des écrans. Pour définir la couleur, l’écran nous oblige à utiliser des artifices et des recettes plus ou moins standardisées et internationales, qui ne laissent pas de place à la subtilité. Il nivelle la perception de la couleur et change même sa nature. La couleur devient alors lumière et n’autorise, ni la nuance, ni l’émotion.

L’oeil est conditionné par cette perception de la couleur-lumière. De récentes études ont démontré que le temps passé devant nos écrans atteindrait 27 ans de nos vies si nous poursuivons notre consommation à l’aune de celle d’aujourd’hui. 27 ans d’hyper sollicitation de la vue et de non-utilisation des sens du toucher, du goût et de l’odorat !

De la lumière à la matière

Mur rouge : Plonger dans la couleur

L’oeil s’exerce-il petit à petit à transférer une perception lumière vers une perception matière ? Nous constatons souvent une forme de déception quand les couleurs-lumières sont transférées vers des surfaces réelles, matérielles. Elles paraissent ternes au regard de la luminosité des écrans. Est-ce d’ailleurs la raison pour laquelle les brillances et les textures métallisées sont devenues constantes dans les tendances de la mode et du design ?

L’univers numérique, dans lequel nous baignons, nous plonge dans un espace sensoriel où le toucher et l’odorat sont absents. Va-t-on seulement rêver la couleur en la regardant ? Se priver du plaisir de la toucher, de la malaxer, de s’y plonger ? Cette sensation nous manquera intensément et nous éprouverons un besoin de nous reconnecter à tout ce qui fait de nous des humains.

abeille jaune

L’abeille : qui s’y frotte s’y pique. Photo : Colorprescription

Nature et culture des 5 sens

Couleur brute : Entre nature et culture. Installation au Palais de Tokyo à Paris

Si l’on est privé de ce sens primitif du toucher, en sera-t-on amoindri ? Pour mieux comprendre comment nos sens se hiérarchisent, on peut remonter à l’origine de leur formation. On pense que dans la vie intra-utérine, le fœtus développe des capacités sensorielles importantes. L’éducation aidant, ces capacités se réduisent pour s’intégrer à un contexte plus normé, moins animal. Donc, la sensation du toucher est peut-être déjà mise à distance par l’éducation, au profit des sens plus immédiats, comme la vue par exemple.

Historiquement, nous sommes les héritiers de postures philosophiques qui remontent à la Renaissance. Les théologiens établissent alors une séparation des sens et une hiérarchie. La vue et l’ouïe sont les sens nobles, les sens spirituels, éloignés de la matière. La peinture et la musique en sont les signaux artistiques. Le toucher, le goût et surtout l’odorat – les plus proches de notre animalité, sont dévalorisés et considérés comme impurs. Aujourd’hui, nous sommes toujours façonnés et influencés par cette classification.

marbre blanc

Marbre blanc : Blanc statufié

Choisir son camp : la philosophie de Colorprescription

Retournons à cette question fondamentale. Le toucher va -t-il devenir un luxe ? Sera-t-il une lame de fond ou une niche ? Un luxe élitiste ou un luxe indispensable ? La crise du COVID a, paradoxalement, fait apparaître à la fois la facilité de mettre en place des solutions de travail à distance et de consommation 100% online. De l’autre côté de la balance, on a ressenti un manque aigu de contact réel.

Actuellement, on sent chez les designers et les créatifs, un besoin nouveau de se confronter au palpable, de chercher un chemin hors de la standardisation, de s’échapper du formatage marketing ou commercial, qui semblait incontournable. On n’a jamais valorisé autant l’objet unique, le travail manuel, l’artisanat d’exception, les séries limitées, les événements, les collaborations, les pièces rares, les magasins éphémères.

Le projet Colorprescription s’inscrit dans une démarche à rebours du 100% digital. Nous croyons que la matérialisation de la couleur est aujourd’hui synonyme de singularité, d’exception, et donc de luxe aussi. Au même titre qu’un très bel objet artisanal a toute sa place dans une époque tout entière vouée à l’e-commerce.

Quand on parle d’une couleur, on parle d’une matière à toucher, à ressentir

Avec Colorprescription, nous développons un point de vue singulier plutôt que consensuel, nous faisons le choix d’un parti-pris puissant qui permet de se différencier dans ce monde d’images, de tendances, de conseils et de recommandations. À chaque nouvelle édition nous relevons un challenge : choisir une couleur singulière, unique, déclinée en 4 tonalités. Dans la box de Colorprescription on trouve des objets, ludiques ou inspirants, des tissus, des cuirs, des papiers, des matériaux hétéroclites.

Alors, oui toucher la couleur est un luxe, un luxe aussi précieux qu’indispensable, le luxe de ressentir notre humanité à travers nos sens, nos émotions, le luxe de libérer notre imaginaire, le luxe de le partager !

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